Interview Rytrut, par Laurent Laloue, L’Oreille Cassée n°19, avril 2007

zineloreilllecassee19Interview de Ladzi Galaï de décembre 2006 par Laurent Laloue, paru dans le zine L’OREILLE CASSEE N°19, avril 2007, avec au sommaire : Asta Kask, Rotten Eggs Smell Terrible, Stalingrad, Philippe Manœuvre, Rytrut éditions, Frank Frejnik, chroniques. Pour le commander à l’Oreille Cassé, 2,50 € en timbres à Laurent Laloue, 13 Allée de la châtaignerie, 33170 Gradignan.

RYTRUT EDITIONS

Ladzi Galai s’occupe de Rytrut éditions. Dans un premiers temps ce nom ne vous dit peut-être rien mais si je vous parle des livres suivants La philosophie du punk et chansons d’amour, cela va devenir plus clair ! Il y a peu de livres parlant de notre musique qui sortent en France de façon complètement indépendante. Vous pouvez le contacter par mail ou par courrier.

Comment vous est venue l’idée de vous lancer dans l’édition ?

Après avoir lu The Philosophy of Punk en 1999. J’ai eu une expérience de fanzinat en 1983-85 qui s’est poursuivi ensuite avec R.R.Products (Rythm & Rut products), un tape label de home-music officiant dans le réseau du mail-art, on a sorti entre autre des zines graphiques avec des compilations à thèmes, le Foligraphe et Disco Totem.

Tu contactes à chaque fois les personnes concernées, ce n’est pas trop compliqué ? Leurs conditions sont « correctes » ?

Je commence à traduire un projet et l’auteur est contacté, afin de préciser le projet et avoir l’autorisation pour le travail énorme qui s’ensuit. Chaque cas est différent. Pour La Philosophie du Punk, Craig O’Hara a reçu un certain nombre de questions concernant son livre et nous a laissé ses droits d’auteurs (dont la moitié va aux éditions AK Press) pour les 1000 premiers vendus ; Ce fut un grand soutien pour démarrer notre édition en partant de rien, financièrement parlant. J’avais aussi soumis le manuscrit au Centre National du Livre, qui nous avait octroyé une avance remboursable par leur commission Art et Bibliophilie. Ce qui a complété l’emprunt bancaire ayant permis le financement.Pour le Crass Chansons d’Amour (qui aurait aussi bien pu s’intituler « Anarchie et Paix »), j’avais donc commencé à traduire leur paroles quand j’ai écrit à Penny Rimbaud. Comme un livre était en cours avec les textes originaux en Angleterre, il m’a conseillé d’écrire à l’éditeur Pomona, pour voir avec eux s’ils n’avaient pas déjà prévu une traduction française de Love Songs. J’ai révisé ma copie de l’idée de publier les titres par ordre chronologique avec adjonction éventuelle de graphismes et après arrangement concernant des parts en droits, on s’est basé sur leur mise en pages et l’ordre des textes, sur lequel Pomona avait travaillé de manière à fluidifier la lecture.
Pour le livre de Jello Biafra Les Paroles, je lui avait écrit pour lui soumettre l’idée d’un livre concernant toutes ses paroles en français avec ses différents projets. Je n’ai pas eu de réponse instantanée, mais 6 mois plus tard, après lui avoir soumis une autre idée d’un livre concernant uniquement Dead Kennedys. Celle-ci avait germé suite à un échange avec le dessinateur français Melvin, qui prévoyait avec d’autres un fanzine avec des traductions des paroles de DK, et on a alors parlé d’autorisation. En raison des problèmes connus entre Biafra et ses ex-acolytes, il nous a répondu que l’intéressait seulement cette idée de bouquin avec les paroles de ses différents groupes, via d’autre personnes d’Alternative Tentacles chargés de la communication. Melvin se joint à nous pour les illustrations, ainsi que Sapiens, la mise en pages avance et la traduction se corrige, AT attend maintenant de voir notre boulot. On espère sortir le livre au printemps.

Comment décidez-vous du tirage ? Je crois que La philosophie a été sorti à 2000 ex et a été réédité ? Crass sort à 700 ex ?

A vu de nez et en fonction du budget très serré. Le premier tirage de La Philosophie du Punk étant parti en un an et ayant été plutôt bien accueilli, ça coulait de source de procéder à un retirage de ce livre contenant des idées et une vision du punk qui méritent d’être mieux diffusés au delà du cercle des « convertis » ou des « je connais déjà tout », il en existe ! Pour la promo on a procédé avec nos moyens. N’ayant pas encore Internet avant 2003, j’avais parcouru l’Officiel de la Musique, et noté des sites de mags, de zines, ou autre radios, dont l’email apparaissait, et j’ai pu ensuite (une fois faite l’acquisition d’Internet) leur envoyer l’info et la proposition d’envoi d’un exemplaire pour chronique. Ce qui explique que nombre de magazines nationaux n’ont pas été contactés (hormis Punk Rawk, qui a ensuite publié un article par Frank Frejnik). Le bouquin de Crass à eu un tirage de 1000 ex (mais 300 ayant foiré à l’impression, merci les « pros » !, y en a eu 700). Voilà ce que donne les cadences infernales : tenter de foutre en l’air en trois jours le travail d’une année et plus ! On va encore changer d’imprimeur afin d’avoir un produit fini de meilleur qualité.

J’ai lu sur vu votre site que la distribution se faisait en grande majorité par les libraires, les assos, listes de distro. C’est pas trop la galère pour récupérer l’argent ? Mon expérience de fanzineux à ce niveau n’est pas géniale….

Ça se passe plutôt bien dans l’ensemble, il s’avère que la majorité sont réglos, une chose optimiste, le cas contraire ça deviendrait impossible. On le sait, la période n’est pas aisée pour les petites librairies, disquaires et distributions. Il y a ceux qui assurent totalement, comme Maloka et d’autres, il y a en a bien qui font un peu traîner ; il y a eu quelques dépôts de bilan… Dans ce cas on ne peut rien faire pour être payé, on a l’impression d’être volé et c’est dur pour ceux qui fonctionnent comme nous, au minima ! Corde serrée, car il y a des charges, et des frais de fonctionnement. On a des commandes directes de librairies, ou via Alize SFL -Société Française du Livre. Pour la diffusion aux autres pays francophones, c’est des commandes directes et ponctuelles de personnes ou de librairies. Pas de diffuseurs, mais le CELF – Centre National du Livre Français, fait un travail de fond bien utile pour les petits éditeurs, en nous commandant régulièrement des exemplaires pour les proposer à l’étranger.

Je crois que l’on retrouve les livres sur Amazon ? Comment cela se passe avec une société pareille ? C’est possible de toucher les Fnac, Virgin ?

On n’a jamais eu de commande directe d’Amazon, peut-être passent-t-ils par Alize, un intermédiaire entre l’éditeur et les librairies, on ne connaît donc pas la destination. Avec la Fnac, on a eu quelques rares commandes ponctuelles de leurs clients. Peut-être passent-t-ils aussi par Alize. Nos livres sont enregistrés à la Fnac, figurent sur leur site, mais cette société ne travaillent pas, en général, avec les petits éditeurs (source interne). Malgré le fait d’avoir fait un courrier aux 64 de leurs magasins en France, on n’a eu aucune réponse quand à l’idée de voir le livre dans leurs rayons ! D’autres librairies ayant un public large comme Arthaud vers chez nous par exemple en prend en dépôt. Et ça rassure de voir que tout le monde n’est pas accroché au stéréotype télévisé et radiophonique qui travaille collé-serré avec les majors de la soupe sans sel, trop sucrée ! De toute façon on soutient les petites librairies et distributions. Personnellement et comme beaucoup, je fais parti des gens qui ont aidé la Fnac à grandir à ses débuts ; En tant qu’ados, on allait acheter nos disques dans leurs magasins, qui fonctionnaient davantage comme des petits disquaires. Puis les ventes par correspondance ont commencé début des années 1980 avec New Rose par exemple et d’autres, puis ça s’est multiplié, alors depuis j’ai pris l’habitude de commander mes trucs aux distros et mêmes directement aux labels et éditeurs, sans pour autant cesser de rendre visite à un disquaire à l’occasion. Ça fonctionne avec Internet, mais ça marchait aussi comme ça avant. C’est une forme de concurrence pour les supermarchés, du moins ça fait vivre notre culture, en plus on y trouve beaucoup de ce qu’on ne trouve pas chez les « géants », qui concentrent leur politique commerciale sur des produits grand public – marketing à la page – provenant d’univers qui nous sont la plupart du temps étrangers, et sont souvent instigateurs de nos railleries. Bien sûr, c’est à chacun de faire et de vivre SA propre culture.

Comment les choses se passent dans Le monde de l’édition ? Tu donnes une espèce de mode opératoire…

Ça vient en le faisant, je suis novice et autodidacte, apprend sur le tas et au grès des rencontres, qui donnent des coups de mains, des associés, même officieux. Il existe des livres explicatifs sur l’édition, chacun peut trouver ça, après tu concrétises, fais ton truc car c’est une passion, vois le répondant, la demande, continue, ne baisse pas les bras, certains veulent ta ruine et tu le sais Mais d’autres t’encouragent car ça les intéresse, et tu portes le fruit de ton travail, de ton courage. Ça prend tout le temps, pas toujours évident de sortir de sa bulle.

Les deux prochaines sorties sont des traductions de textes de groupes, vous allez vous spécialiser dans ce genre ?

Peut-être bien, dans un premier temps. Cette passion de traduire des chansons anglo-saxonne de mes groupes préférés (nombreux), cette envie de creuser, me vient des bans d’école, et je la concrétise à l’aube de la quarantaine. Rytrut est de petite envergure, ça avance doucement mais d’arrache pied. Pour cela, seuls quelques projets sont en préparations, ne pourrait assumer une demande d’autres publications, aucune volonté de vampirisation.

Tu es est musicien, ton one man band qui doit sortir un album, tu peux nous en parler ?

GLOP ! est le nom de mon dernier projet musical, depuis 2004, qui a vu deux formations pour des concerts, avec batteur, et des fois en solo. Je pensais me mettre aux bandes de cet album à finir, mais oups ! Devant maintenant aussi faire la mise en pages des bouquins (ce qui est bien en soit pour être totalement indépendant), je suis obligé de mettre la zique en stand-by. D’autant qu’il y a encore deux autres albums aux concepts relativement différents de commencés. Pas évident d’être disponible pour se consacrer à deux activités, compatibles soit, mais demandant tellement de temps. Faute de mieux, il y a toujours quelques titres démo et lives à l’arrache en téléchargement gratuit sur

le site de GLOP! Il reste des copies de deux anciens CD « solo » que j’avais sorti, plutôt bien chroniqués d’ailleurs, encore disponibles en cherchant sur le site à lapage discographie et anciens groupes de Ladzi Galaï. [Le premier Ultime Atome est une guitare symphonie, instrumentale, le second Foutue Poupée a été mixé en Hollande avec Dolf, ingénieur du son de The Ex]. Plus tard j’aimerai aussi remixer d’anciennes démos avec d’autres groupes qui étaient sorties en cassettes albums chez R.R.Products. Pas eu la tune ou l’entourage nécessaire en son temps pour sortir ça en disque, je viens de la classe ouvrière, j’ai souvent dû faire différents jobs pour vivre ; Toujours voulu être indépendant face au sectarisme ambiant et à et la pénurie des possibilités dans mon secteur. Pas facile, des fois on se coupe de tout, mais bon, allez chiche, je garde ça pour la retraite !

Vous avez donc en projet immédiat les livres sur Trespassers W (que je ne connais pas) et Jello Biafra, quels sont les projets suivants ?

Le groupe hollandais Trespassers W est connu dans le réseau underground internationale pour son univers particuliers, beaucoup moins en France, mais a son réseau de « fans » . Ce n’est pas du punk, au sens strict du terme, plutôt un mélange d’influences, et la force et la beauté des paroles de Cor Gout mérite vraiment le détour. Nous sommes en contact depuis 1987, et j’ai commencé la traduction de ses paroles depuis 1995, c’est en fait le projet déclencheur de cette saga, loin d’être épuisable. On a eu un échange très serré avec l’auteur, concernant le texte. Le livre Trespassers W L’intégrale devrait sortir cet hiver. Quelques idées pour la suite, mais encore rien d’arrêté. Donc laissons la charrue sous le hangar. J’aurais pu crever en novembre, fais un tonneau sur une route de montagne que je ne connaissais pas, la voiture foutue, moi, aucune égratignure. Le paysan qui m’a vu a dit : « Vous avez de la chance, je viens juste de rentrer mon tracteur ». A 5 minutes près, j’aurais aussi bien pu m’empaler dessus ! Ah quand la chance vous sourit ! En plus, ça m’a débarrassé de cette tôle qui commençait à être dangereuse. La vie ne tient qu’à un fil. Alors je me dis la connerie et son lot de prétentions instituées ne tiennent pas du tout la route.

Est-ce que Camion Blanc est un exemple pour vous ? Qu’en pensez vous ?

En 2004, j’avais feuilleté chez un pote un bouquin sur Bérurier Noir publié chez Camion Blanc, mais n’ai jamais lu un de leur livre, je ne pourrais donc pas en parler. A vrai dire, en tant que traducteur, j’ai tendance à me borner à lire des livres en anglais depuis un certain temps, ce qui focalise pour l’instant l’intérêt de notre édition pour la culture anglo-saxonne (punk notamment) et va de soit avec l’évolution du vocable. Même si le travail d’autres peut avoir une influence sur notre créativité, je pense que le meilleur exemple est le chemin qu’on suit, c’est-à-dire rester intègre dans ce que l’on fait.

Quelque chose à ajouter ?

J’espère que les lecteurs prendront autant de plaisir à la lecture des textes traduits de Cor Gout et de Jello Biafra, que nous avons eu à les traduire, et à les annoter, on pénètre des univers.